je vais chercher tous les matins Liberation depuis chez moi,
c'est à la campagne, jusqu'au village, ce qui représente 1 kilomètre,
ah là là quelle histoire, quel périple, et en partant je ne me demande
jamais si je pourrais ne pas revenir, si sur mon chemin des bandits
ou des elfes, ou des monstres, ou des failles dans l' univers pouvaient
m'empêcher de retourner dans ma maison, où je vais prendre
mon petit déjeuner en lisant Libération, en buvant du thé Earl Grey,
en mangeant des toasts avec des oeufs durs mais pas trop durs
les oeufs il faut que le jaune soit encore un peu mou,
et je ne me demande jamais si quelque chose pourrait changer dans
mes habitudes parce que ça fait des années que je fais ça et même
que parfois je commencerais à en avoir marre de ce journal Liberation
que j'associe pour l'occasion à un rituel plutôt plan plan
et rien de libéré de telle sorte que je devrais plutôt l'appeler
l'Enchaînement, ou Claustration, ou Réclusion et tiens je faire
l'expérience de demander à mon buraliste s'il a le journal "Réclusion",
s'il vous plaît je voudrais "Réclusion", vous savez le journal que je lis
tous les matins en le trempant dans ma tasse d'Earl Grey
et que je déguste tout juste sorti du four, mais il ne faut pas qu'il soit
trop cuit, il faut que le jaune soit encore un peu mou, il faut
que les nouvelles soient fraîches, et puis je me lève de table
et je monte dans ma chambre où je vais travailler sur les textes
en cours, ou bien je vais me ronger les sangs parce que j'attends
un contrat d'un éditeur qui n'arrive pas et ce sont tous des salauds,
et il faudrait les enfermer,...